Télévision : 29 janvier à 13:35-15:20 sur Arte
film : comédie dramatique
Il a suffi d'un instant d'inattention alors qu'elle se querelle encore avec sa compagne Julie pour que Raf trébuche violemment et se retrouve immobilisée au sol, incapable de se relever. Les pompiers se chargent d'emmener les deux femmes aux urgences, où la sentence tombe : le coude est fracturé. L'attente commence pour ce couple au bord de l'implosion au sein d'un service totalement surchargé des blessés touchés dans les violentes manifestations en cours dans la capitale. Au fur et à mesure des heures qui passent, Raf et Julie comprennent la futilité de leurs disputes devant le drame humain auquel elles assistent impuissantes... - Critique : État d’urgences, au pluriel. Le film de Catherine Corsini arrive sur nos écrans comme une alarme assourdissante. Un réveil brutal et bienvenu, dans le train-train hypnotique et délétère de ce début de campagne présidentielle. Où sont les vraies fractures de la société ? Dans le chaos de l’hôpital public, au soir d’une manifestation des Gilets jaunes. Unité de temps – une nuit sous tension maximale – et de lieu – les couloirs miteux d’un service d’urgences exsangue – pour raconter ce que l’on n’ose, d’ordinaire, imaginer et représenter sur notre sol démocratique : la guerre. Elle est partout, dans une mise en scène d’une énergie inouïe. La caméra capte la confusion, le manque et le trop-plein, comme on chevauche un animal fou, que la douleur a rendu dangereux. État de sièges, au pluriel. Ceux des salles d’attente ou végètent les blessés de la manif, en attendant qu’un personnel soignant sous-payé, harassé cavale jusqu’à eux pour adoucir, un instant seulement, la violence du dehors. État de siège au singulier : dans la fumée des bombes lacrymogènes, des CRS campent aux portes et demandent qu’on leur livre des noms, des gens, des coupables. Dans cet établissement parisien aux allures d’hôpital de campagne, Catherine Corsini a choisi de suivre une poignée de personnages, de capter la chorégraphie de leur colère. Ça tombe, ça gueule, ça frappe. Toutes les percussions du malaise social se répondent sans jamais faiblir, pendant que, dans un coin, une vieille patiente oubliée de tous, est en train de mourir doucement. Un film de rage et d’humour Et pourtant, ce formidable huis clos humain et politique n’est pas un film noir, mais de rage et d’humour. Il joue, avec une honnêteté brutale, une dérision brillante, à confronter les mondes, à les laisser se heurter sans solution évidente, dans le mouvement perpétuel des urgences : Yann, le routard Gilet jaune (Pio Marmaï, épatant), avec son mollet criblé d’éclats de grenade, et puis Raf et Julie, couple de bobos en crise, échouées là parce que la première s’est cassé la figure en courant après la seconde en pleine rue, et en pleine scène de ménage. Les crises, c’est la spécialité de Raf, son carburant, sa came (sans compter un petit comprimé de Subutex périmé) et elles offrent l’un de ses plus beaux rôles à Valeria Bruni Tedeschi, qui n’a jamais porté sa folie burlesque, autant que sa puissance d’émotion, à de tels sommets. Avec ce personnage-miroir, ainsi que celui de sa compagne (Marina Foïs, impeccable en clown blanc exaspéré), la réalisatrice questionne la place de la gauche bourgeoise dans le marasme actuel, et ne lui fait pas de cadeau. Grand morceau de bravoure – dans un film qui en regorge – l’engueulade entre Yann, le prolo provincial énervé, et Raf, l’artiste parisienne excentrique, ouvre sur un questionnement aigu, très contemporain. Qui est hors-sol, qui se trompe, qui se laisse manipuler, qui souffre vraiment ? Aucune démonstration pesante, aucune condescendance de classe, mais pas plus de mea culpa facile. Juste le constat que l’humanisme est, encore et toujours, un sport de combat. Du genre qui vous met souvent au tapis. Et puis, dans cette ambiance électrique et dure, souvent d’une drôlerie irrésistible, il y a les gestes vrais de Kim, l’infirmière de garde depuis six nuits d’affilée – inoubliable Aïssatou Diallo Sagna, aide-soignante dans la vie. Sa compassion, sa douceur. Sa grâce. Son épuisement. Son beau visage qui ferme le film, comme une ultime raison de continuer la lutte.
Année : 2021
Avec : Aïssatou Diallo Sagna, Camille Sansterre, Caroline Estremo, Clément Cholet, Ferdinand Perez, Jean-Louis Coulloc'h, Marin Laurens, Marina Foïs, Norman Lasker, Pio Marmaï, Ramzi Choukair, Valeria Bruni