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Récemment en octobre
 

Priscilla

Télévision : 24 octobre à 17:21-19:11 sur Canal +

film : biographie

1959. Le père de Priscilla Beaulieu, 14 ans, est affecté dans une base américaine en Allemagne. C'est là que l'adolescente fait la connaissance du chanteur Elvis Presley, qui accomplit son service militaire. Elvis tombe follement amoureux de Priscilla. Lorsqu'à la fin de son service, il rentre aux Etats-Unis, Priscilla est persuadée qu'elle n'entendra plus jamais parler de lui. Pourtant, en 1962, le chanteur la recontacte et l'invite pour des vacances à Memphis. Un an plus tard, Elvis parvient à convaincre les parents de Priscilla, d'abord réticents et inquiets, de la laisser s'installer aux Etats-Unis. La jeune fille fréquente une école catholique voisine du domaine de Graceland. Elvis, lui, est souvent absent... - Critique : On aura beau dire, la taille, ça compte. Mieux : ça raconte, et dès lors, le casting de Priscilla vaut discours. L’Américaine Cailee Spaeny, à qui le rôle-titre a valu un prix d’interprétation à la dernière Mostra de Venise, culmine à 1,52 mètre, quand son partenaire Jacob Elordi, acteur australien révélé par la série Euphoria, plane à 1,96 mètre. Sofia Coppola n’a pas seulement succombé à leur talent éclatant, à l’élégance embarrassée du garçon sexy ou à la douceur innocente de la fille aux joues moelleuses ; elle a saisi ces corps aux antipodes, puis cadré leur disharmonie incarnée. Ainsi, à chaque fois qu’Elvis se penche sur sa très petite amie, à chaque plan qui le voit courber son immense silhouette sur une puce à talons aiguilles, le film susurre l’asymétrie — physique, mais pas seulement. Ou comment démystifier, par l’image assassine, la légendaire love story du King et de son unique épouse. Sur cette histoire connue, la réalisatrice adopte le point de vue exclusif de Priscilla Presley, exposé dans son livre Elvis et moi en 1985. Soit, au début, le rêve devenu réalité d’une collégienne de 14 printemps qui rencontre le roi du rock dans la morne Allemagne de 1959 où il achève son service militaire. « Tu es un bébé », sourit-il du haut de ses 24 ans. Ils ont le mal du pays. Il parle, elle écoute. Il s’inquiète, elle rassure. À l’insu des parents dépassés, de chastes baisers scellent l’idylle, sans oublier une prière à la vierge : « Tu me promets que tu resteras telle que tu es ? » La star rentrée au bercail, l’élue patiente, tandis que défilent les pages de magazines et de calendriers, les pochettes de disques, les bibelots de chambre d’ado. Du pur Sofia Coppola, souveraine dans l’art de traduire le temps suspendu, l’ennui des salles de classe et des cocons pastel, pas moins experte lorsqu’il s’agit d’accélérer le tempo : trois ans ont passé, un coup de fil et un billet d’avion transportent l’amoureuse en son futur royaume, Graceland. Des sœurs Lisbon de Virgin Suicides (2000) aux pensionnaires de Nicole Kidman dans Les Proies (2017), la cinéaste a-t-elle jamais filmé autre chose que des captives ? En l’occurrence, Priscilla rappelle tellement sa Marie-Antoinette (2006) que l’on jurerait avoir affaire à un diptyque. À la différence de la roturière texane, la noble autrichienne n’avait pas choisi sa cage dorée, mais leur extrême jeunesse, leur apprentissage forcé des codes en vigueur, chacune en son palais, chacune à son époque, dessinent un destin commun — excepté l’échafaud, bien sûr. Jusqu’à l’impuissance de leurs conjoints respectifs… Car Elvis, qui excitait les foules par la puissance évocatrice de ses déhanchés dans le biopic de Baz Luhrmann, en 2022, se révèle aussi peu porté sur la bagatelle que Louis XVI. Quitte à rabrouer le désir de sa dulcinée : « Ne t’emballe pas. Tu dois me laisser décider quand ce sera le moment. » Malgré sa pratique du grooming, terme désignant la manipulation, le façonnage d’une jeune personne à son goût, Presley n’est pas croqué en prédateur sexuel, plutôt en égoïste immature, un rien bêta, lui-même soumis à un colonel invisible — son manager. À une scène d’ébats proprement dite, Sofia Coppola, bien inspirée, préfère d’ailleurs la suggestion stylisée : les amants s’amusent à se photographier, Priscilla arborant diverses tenues de pin-up, soubrette et autres clichés, avant une bataille d’oreillers qui dégénère. « Je ne veux pas jouer avec un putain de mec ! » crie le mâle vexé au « bébé », sonné par sa violence. Non, il veut une femme conforme, décorative, gardienne du foyer, disponible chaque fois qu’il la sonne ou qu’il fait la fête — d’où les amphétamines au saut du lit les jours de lycée, détail sordide dont la répétition prend un tour glaçant. Le chic pour marier les couleurs Dans Virgin Suicides, le journal intime de Cecilia Lisbon laissait entrevoir aux garçons du quartier « l’emprisonnement que c’est d’être une fille, qui vous oblige à réfléchir et à rêver, et finit par vous apprendre à marier les couleurs. Nous apprîmes que les filles sont des femmes déguisées, qu’elles comprennent l’amour et même la mort ». De fait, Sofia Coppola a toujours le chic pour marier les couleurs. Elle faisait chatoyer les étoffes acidulées et les chaussures aux tons de bonbons à Versailles et multiplie, à Memphis, les plans serrés sur la transformation cosmétique d’une poupée vivante. Vernis, faux cils, bigoudis et laque, choucroutes démentes évoquant les perruques du XVIIIᵉ siècle… Sophistication grotesque de la gosse cantonnée au paraître et au néant. « Ta couleur, c’est le bleu », tranche le pygmalion à banane lors d’une séquence de shopping façon Pretty Woman où c’est le man qui décide. Et lui offre, summum du kitsch de droite, des flingues assortis à ses robes. Il n’empêche, cette histoire moderne est celle d’une héroïne qui avance — motif entêtant du film, Priscilla en mouvement dans des couloirs, de lycée ou d’hôtel, marchant face caméra vers son avenir. Dans ce cinéma de luxueux lieux clos, de palaces japonais (Lost in Translation, 2003), de faux château californien (Somewhere, 2011) et de maisons coloniales engrillées, il y a les personnages qui (s’en) sortent et ceux qui (de)meurent. Tirant le meilleur d’un rôle chiche en dialogues, Cailee Spaeny, remarquée dans la série Mare of Easttown avec Kate Winslet, compose finement une Priscilla cultivée sous cloche — dans le grand salon blanc de Graceland, la solitude semble aussi épaisse que la moquette — mais qui n’en pense pas moins. Elvis renvoyé au second plan, une fois n’est pas coutume, c’est elle que l’on regarde grandir et se débarrasser de son déguisement. Cheveux lâchés, visage nu, enfin, une femme apparaît. Retrouvez en vidéo l’avis de notre critiques Reine de la BOPas bavarde (qui l’écouterait ?), la Priscilla de Sofia Coppola laisse parler les tubes : Venus, de Frankie Avalon et ses accords aériens pour dire le rêve éveillé, la ritournelle de Crimson and Clover, de Tommy James and The Shondells, idéale sur l’éclosion de l’amour… Rien d’aussi radical et anachronique, toutefois, que les hits rock qui secouaient Marie-Antoinette de leur énergie juvénile. Réputée pour la qualité de ses BO, la cinéaste, compagne de Thomas Mars du groupe Phoenix, à l’œuvre ici pour la musique originale, n’a pas eu accès aux succès d’Elvis Presley — contrairement à Baz Luhrmann l’an dernier. On croit bien distinguer, à un moment, quelques notes de Love Me Tender au piano, mais ce contrechamp au biopic du King épouse, jusqu’au bout, les goûts et les états d’âme d’une jeune fille de son temps.

Année : 2023

Avec : Ari Cohen, Austin Ball, Beirne Dan, Cailee Spaeny, Dagmara Dominczyk, Dan Abramovici, Jacob Elordi, Lynne Griffin, Olivia Barrett, Post Tim, Rodrigo Fernandez-Stoll, Stephanie Moore