Télévision : 31 octobre à 22:25-00:00 sur Arte
film : drame
Julija, 17 ans, vit sur une petite île isolée de Croatie avec ses parents, Nela et Ante. Comme elle, ces derniers rêvent de quitter un endroit sans avenir pour rejoindre Zagreb, la capitale. Une occasion unique se présente quand une riche connaissance d'Ante débarque pour potentiellement acheter une parcelle de terrain. Accueilli en grande pompe, Javier profite de ces quelques jours de calme pour se reposer et jouir de ses vacances. Rapidement, le quadragénaire remarque que Julija semble s'intéresser de très près à lui, ce qui n'échappe pas non plus aux regards d'une mère inquiète et d'un père furieux et de plus en plus menaçant... - Critique : Poisson serpentin doté d’une deuxième mâchoire, redoutable, cachée au fond de sa gorge, la murène pâtit d’une sinistre réputation. C’est d’ailleurs parce qu’on la sait capable de s’arracher un morceau de chair pour se libérer d’un piège qu’elle intéresse Antoneta Alamat Kusijanovic : Murina, son premier long métrage, fait le récit d’une émancipation qui n’ira pas sans douleur, sur une île croate aux faux airs de paradis. L’héroïne de 17 ans évoque d’abord, plus qu’un prédateur marin, une petite sirène privée de voix. Pêcher, nettoyer, réciter un poème, servir, danser : quand le père ordonne, Julija (formidable Gracija Filipovic) s’exécute sans piper. Ante (Leon Lucev) décide, commande, explose au besoin, certain de la soumission de sa fille et de son épouse, Nela (Danica Curcic), ex-reine de beauté résignée à son sort. L’indispensable élément perturbateur va débarquer sous la forme d’un « dieu sur terre », en réalité un séduisant millionnaire, tout à la fois ancien patron et rival amoureux, auquel le tyran fauché espère vendre un îlot rocailleux pour se remettre à flot et voguer vers d’autres cieux. Ruisselant d’azur et de lumière — beau travail de la directrice de la photographie Hélène Louvart (La Vie invisible d’Eurídice Gusmão ou The Lost Daughter sur Netflix) —, Murina rappelle que ni le patriarcat, ni les classes sociales ne sont solubles dans les paysages de carte postale. Jumelles à la main, Julija observe les touristes qui s’égaillent sur la plage et se rêve déjà en fille d’un autre, de ce prince arrivé en hors-bord pour les sauver, elle et sa mère, d’une prison sans barreaux. Peau lisse et corps délié, la naïade serpente, se faufile, tapie dans les coins pour mieux écouter sans être vue, toute prête à intriguer, à mordre, voire à sacrifier le père. Sa chair. Produit par Martin Scorsese et récompensé par la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, ce long métrage avance avec une fluidité sensuelle, sans coquetteries inutiles mais pas sans tension, heureusement. Autrice en 2017 d’un court métrage remarqué, Into the Blue — où la même actrice, alors âgée de 13 ans, jouait déjà une nageuse intrépide —, Antoneta Alamat Kusijanovic filme décidément bien les éléments et excelle en extérieur, comme un poisson dans l’eau. Entre les duels au soleil des hommes-taureaux et la révolte de la fille-murène, elle sait surtout s’emparer d’un thème très contemporain, voire rebattu, pour le tirer vers la mythologie.
Année : 2021
Avec : Butijer Niksa, Cliff Curtis, Curcic Danica, Gracija Filipovic, Jasenka Bosnic, Jonas Smulders, Klara Mucci, Leon Lucev, Marina Redzepovic, Milan Strljic, Mislav Cavajda, Vjeko Tadic