Télévision : 16 février à 01:50-03:15 sur Arte
film : essai
Jean-Luc Godard compose un long chant d'adieu au cinéma tel qu'il a vécu, dont "A bout de souffle" a pu marquer en 1960 une rupture avec les codes classiques. Ni scénario, ni interprètes, ni discours linéaire ou démonstratif : rien ici ne renvoie à quelque chose de connu. L'auteur d'"Histoire(s) du cinéma" compose une syncope de séquences, dont le déferlement évoque la violence des flux de nos écrans contemporains. Extraits de films, photos, archives, séquences documentaires, tableaux ou dessins, chez Godard, les images sont aussi volatiles que fissibles : nombre d'entre elles sont retraitées, grossies au grain, recadrées, surexposées, les couleurs lavées ou saturées... - Critique : Déconstruire, construire, il y a quelque chose du maçon chez Jean-Luc Godard. De là son éloge de la main, celle qui pratique le montage. En voici un, tombeau intime plus qu’intimidant, portant en exergue : « Les maîtres du monde devraient se méfier de Bécassine, précisément parce qu’elle se tait. » Le silence, Godard lui aussi y aspire. Les commentaires, l’ordre établi de la grammaire, le langage permettant de penser tout en ruinant simultanément l’essence des choses… Grommeler, comme il le fait ici, tousser et surjouer le vieillard moribond, c’est sa façon de se taire. Sinon, il rend hommage à tous ceux qu’il a pillés. Il célèbre le lyrisme ferroviaire, le début de la révolution russe, Rosa Luxemburg… Le sujet principal touche surtout à la guerre, « divine », « expiatoire », et aux vaincus, sa cause. Les grands perdants ici, ce sont les habitants du monde arabe. Godard ébranle l’ethnocentrisme de l’Occident et retrace l’utopie d’une Arabie heureuse qui a été sacrifiée. Albert Cossery, Youssef Chahine, le mythe de Shéhérazade, la guerre en Syrie, la tyrannie des monarchies du golfe Persique, tout se chevauche dans un magma visuel et musical, où l’image crépite, s’embrase. L’ultime extrait (Le Plaisir, d’Ophuls) montre un couple dansant le french cancan. L’homme tombe, il reste la femme. L’espérance.
Année : 2018
Avec : Danielle Darrieux, Day Josette, Dimitri Basil, Douglas Fairbanks, Eddie Constantine, Gaby Bruyère, Jean Cocteau, Jean Gabin, Jean-Pierre Gos, Jules Berry, Roberto Cobo, Wallace Beery
Télévision : 11 novembre 2023 à 00:44-02:20 sur France 3
film : drame
Le "Club des femmes" est un foyer pour jeunes filles seules, une de ces respectables institutions auxquelles les demoiselles bien éduquées - et surtout pas très sûres d'elles - confient leur vertu par crainte de la perdre trop rapidement. Dans ces lieux soumis à un va-et-vient incessant, toutes sortes de destins anonymes se croisent avant de diverger à jamais. De cette routine émergent parfois des noms, des visages, des événements plus ou moins dramatiques. En témoignent les expériences malheureuses de Greta, Alice ou bien Hélène, mais aussi l'aventure sentimentale vécue un beau jour par Claire Derouve, la plus belle de toutes... - Critique : Quel drôle d’endroit que la « cité Fémina ». Un prude établissement pour jeunes filles nécessiteuses, strictement interdit aux hommes ?… Un phalanstère dédié à ce qu’on n’appelait pas encore la sororité ? Une ruche d’énergie juvénile dont le joyeux bourdonnement nous semble encore étrangement moderne, presque quatre-vingt-dix ans plus tard ? Tourné en 1936, l’année des congés payés et des grands espoirs populaires, par le dramaturge et réalisateur Jacques Deval, cette comédie de mœurs presque exclusivement féminine nous plonge dans le quotidien des pensionnaires en général, et d’une poignée d’entre elles en particulier. Avant tout, il y a Claire — alias Danielle Darrieux au sommet de sa fraîcheur et de son charisme virevoltant —, danseuse de son état, qui multiplie les ruses pour faire entrer son fiancé dans ce sanctuaire virginal tout confort, avec piscine et réfectoire aux allures de restaurant cosy. Mais dans cette alerte galerie de portraits vifs et incarnés, on croise aussi Hélène (Junie Astor), cynique téléphoniste qui organise un réseau de prostitution au nez et à la barbe de la direction, et Greta (Betty Stockfeld), l’une de ses naïves victimes… Et puis il y a Alice (Else Argal), secrètement amoureuse de l’une de ses colocataires… À travers ce personnage tourmenté et nuancé, ce film en avance sur son temps pose un regard tout en délicatesse, mais sans détour, sur l’homosexualité féminine. Tour à tour léger et touchant, Club de femmes est une jolie surprise venue du passé, un appel à la solidarité et à la tolérance, porté par la figure bourrue et faussement sévère de la directrice, Madame Fargeton (Ève Francis), irréductible humaniste.
Année : 1936
Avec : Betty Stockfeld, Danielle Darrieux, Day Josette, Else Argal, Eve Francis, Junie Astor, Raymond Galle, Valentine Tessier