Télévision : 31 janvier à 01:20-03:38 sur Canal +

film fantastique

Londres, à l'époque victorienne. Médecin aux airs de savant fou, le docteur Godwin Baxter accomplit une véritable prouesse quand il parvient à ressusciter Bella, une jeune femme enceinte qui s'est suicidée en se jetant d'un pont. Pour parvenir à ses fins, l'homme a greffé le cerveau du bébé, toujours vivant après la chute, à Bella, désormais privée de tous ses souvenirs et qui doit réapprendre tous les gestes du quotidien. A sa grande surprise, Bella se montre bien plus vive qu'escompté et retrouve vite une certaine autonomie. Elle ne tarde pas à s'enfuir au bras de l'avocat Duncan Wedderburn, déterminée à découvrir un monde dont elle ignore tout... - Critique : :t3: POUR D’un côté, les esthètes ascètes. De l’autre, ceux qui affectionnent l’impur et l’excès, la joie et le grotesque, l’ornement en toute chose. Dans ce genre baroque, le cinéaste grec Yórgos Lánthimos accomplit décidément des merveilles. Son précédent film, La Favorite, racontait un crêpage de chignons aussi cru que raffiné entre une reine d’Angleterre et ses deux favorites. Pauvres Créatures pousse plus loin encore le bouchon du fantasque. On est d’emblée servi en découvrant Bella Baxter (Emma Stone), grande poupée vivante et désarticulée, qui marche et tape sur les touches d’un piano comme un nourrisson. Musique discordante, vision bizarre, univers en noir et blanc saturé : fichtre, où sommes-nous ? Chez un médecin défiguré (Willem Dafoe) de l’Angleterre victorienne, un scientifique à la Frankenstein. C’est à lui que revient l’existence de Bella Baxter : le savant fou l’a créée à partir d’une suicidée enceinte qu’il a fait revivre en lui greffant le cerveau de sa fille à naître ! Cette idée tordue, on la doit à Alasdair Gray, monument écossais de la littérature encore méconnu en France, dont le roman, pastiche de récit gothique, est ici librement adapté par le scénariste australien Tony McNamara. Yórgos Lánthimos en extrait de l’or. Une fantasmagorie à l’imaginaire foisonnant et truculent, luxuriant et macabre. L’étrange Bella Baxter commence par apprendre les rudiments du langage à la maison, grâce à un gentil précepteur aussi dévoué qu’éberlué par les progrès phénoménaux de son élève. Bébé sans tabou puis fillette primitive dans un corps de femme, la ressuscitée écoute, expérimente, absorbe, tâtonne, touche à tout, notamment à son sexe, en toute innocence et sans se cacher. D’où des orgasmes désopilants, affronts aux codes de bonne conduite. Et, à mesure que Bella grandit, le foyer s’avère vite trop petit pour cette tigresse avide de tout connaître. Un avocat chaleureux et libertin (Mark Ruffalo) qui passe par là lui offre l’occasion de s’affranchir de son créateur. Voilà Bella partie avec son amant pour la grande aventure. Une véritable odyssée du savoir et de l’émancipation, qui n’est pas sans rappeler le Candide de Voltaire, revisité au féminin. De Lisbonne à Paris en passant par Alexandrie et une longue croisière sur un paquebot majestueux, Pauvres Créatures nous emmène loin, en nous dépaysant grandement. Les villes, reconnaissables à quelques symboles, sont surtout fantasmées, réinventées à travers des décors rétro-futuristes dont la poésie visuelle aux couleurs éclatantes voisine parfois avec Mœbius ou Miyazaki. L’usage par le cinéaste et son chef opérateur de l’objectif « fisheye », qui produit des effets de distorsion et vire en général au gadget disqualifiant, s’avère ici probant : il donne un aspect animé et hybride, aussi merveilleux que monstrueux, aux rues, maisons et intérieurs. On n’avait pas vu depuis longtemps le décor ainsi employé, comme force dynamique, à même de redonner toutes ses lettres de noblesse au film de studio. D’abord placées sous le signe d’une sexualité débridée et solaire à Lisbonne, les tribulations de l’impulsive Bella l’amènent à connaître plus d’une désillusion. Elle découvre le poids des conventions, la domination masculine, la misère et la barbarie. Mais rien n’entame sa soif de liberté, son absence de honte et de préjugés. Prostituée à Paris, elle s’affirme et s’affermit en étant le meilleur révélateur qui soit de la société. Plus elle devient humaine, plus les autres ressemblent à des monstres. On retrouve les obsessions chères au réalisateur : le rapport entre humanité et animalité, science et nature. Bella, on finit presque par l’oublier, tant elle gagne en maturité, est une création, une sorte d’androïde avant l’heure. Déceler ici et là, en filigrane, quelques signes du temps présent fait aussi partie des plaisirs que procure Pauvres Créatures. Le film dépeint la société victorienne, ses corsets comme ses progrès, son romantisme échevelé, mais en évoquant aussi la sororité, le combat des femmes pour l’égalité, le sort des minorités. Tout cela s’intègre avec naturel dans le récit, constamment inattendu, riche de péripéties, à l’image de celle qui survient dans le dernier quart du film, lorsque l’aventurière est de retour à Londres. L’odyssée semble terminée mais l’action est soudain relancée par la réapparition d’un homme du passé… La prestation d’Emma Stone est si ébouriffante qu’on lui promet déjà un Oscar après son Golden Globe de la meilleure actrice dans un film musical ou une comédie. Son interprétation tient moins de la performance que d’un plaisir constant à jouer avec son corps entier et sa parole, dans une succession d’âges et d’états différents. Un jeu particulièrement expressif, communicatif, qui renvoie au métier même de comédienne, et qui va ici de pair avec une forme d’étonnement et de don, sans cesse renouvelée. Si la Candide perd beaucoup de sa naïveté au cours de son odyssée, si l’enfant sauvage finit par acquérir la sagesse intelligente d’une philosophe, l’indifférence n’est jamais de mise. L’héroïne qu’Emma Stone a façonnée, monstre d’humanisme sensible proche d’une divinité, est d’un genre inédit. Rien de moins que la femme érigée en génie. — Jacques Morice :t0: CONTRE Yórgos Lánthimos n’a pas changé depuis Canine (2009), son premier long métrage, qui, pour des raisons encore mystérieuses quinze ans après, avait raflé tous les prix de la jeunesse dans les festivals où il concourait. Il reste ce cinéaste m’as-tu-vu qui cherche à épater le bourgeois, et, hélas !, y parvient, à coups de pseudo-audaces formelles (les plans fixes ultra stylisés de Canine, l’usage sans modération d’un objectif déformant « fisheye » ici) et de provocations au petit pied — pour l’essentiel, des scènes de sexe faussement scandaleuses et répétées ad nauseam. Pauvres Créatures est d’autant plus pénible qu’il se revendique d’un féminisme pour le moins discutable. Qui consiste à faire d’abord subir à son héroïne (et à son interprète) les pires humiliations, mises en scène avec une gourmandise et une complaisance sadiques. Avec un parcours d’émancipation qui passe forcément par l’expérience du plaisir dans un bordel… Quant à la représentation de la sexualité, parler de male gaze (ou de regard masculin) serait faire encore trop d’honneur à Lánthimos : le terme de teen gaze serait plus adapté, tant les scènes érotiques de Pauvres Créatures semblent avoir été tournées par un adolescent priapique qui ne connaîtrait les femmes que par la fréquentation assidue de YouPorn. Sale gosse, va ! — Samuel Douhaire Regardez en vidéo l’avis de nos critiques

Année : 2023

Avec : Christopher Abbott, Constanza Macras, Damien Bonnard, Emma Stone, Hanna Schygulla, Jerrod Carmichael, Kathryn Hunter, Margaret Qualley, Mark Ruffalo, Ramy Youssef, Suzy Bemba, Vicki Pepperdine, Willem Dafoe