Télévision : 15 septembre 2023 à 01:02-03:02 sur Canal +

film : drame

Rama est écrivain. Elle se rend à la cour d'assises de Saint-Omer pour suivre le procès de Laurence Coly, une trentenaire accusée d'avoir mis fin aux jours de sa fille, âgée de quinze mois. Sur place, Rama vacille face aux déclarations de cette femme d'origine sénégalaise, comme elle, et qui semble incapable de se libérer de ses démons. Bien que dotée d'un quotient intellectuel supérieur à la normale, Laurence ne parvient pas à s'éloigner du poids des traditions de son pays natal malgré des années passées en France. Elle affirme avoir voulu abréger les souffrances d'une fillette venue au monde sous de mauvais auspices... - Critique : POUR :t4: « Madame Coly, savez-vous pourquoi vous avez tué votre fille ?  » demande la présidente du tribunal à l’accusée. « Je ne le sais pas. J’espère que ce procès pourra me l’apprendre », répond la femme debout, les mains accrochées au rebord du box comme au bastingage d’un navire. Étrange figure de proue, mère monstrueuse dressée contre vents et marées. Saint Omer plonge dans un abîme et parvient à s’y blottir. Ce qu’il raconte s’inspire directement d’une affaire d’infanticide survenu en 2013, sur la plage de Berck. Là où une jeune Sénégalaise en détresse a abandonné sa fille métisse de 15 mois, une nuit de marée montante. Happée obscurément par ce terrible fait divers, Alice Diop avait à l’époque suivi de près le procès, à la cour d’assises de Saint-Omer. Pour témoigner de cette expérience, elle s’est choisi un alter ego, Rama, romancière enceinte qui fait elle aussi le voyage là-bas. Si cette affaire est passionnante, c’est parce qu’elle pulvérise les préjugés, met le doigt sur de l’impensé. En révélant les multiples facettes, parfois contradictoires, d’une meurtrière insaisissable. Laurence Coly est une jeune lettrée s’exprimant dans un français soutenu, assurant dans sa diction les liaisons, telle une héroïne de Racine. C’est aussi une affabulatrice, faussement diplômée, qui cache beaucoup de choses, feignant de tout dire ou de ne pas savoir. Qui explique son geste par un maraboutage dont elle aurait été victime, tout en relativisant plus tard cette hypothèse. Elle admet les faits mais plaide « non coupable ». Est-elle folle ? Si oui, Alice Diop montre qu’elle est malgré tout porteuse de vérités la dépassant, touchant aux mythes. Elle en fait une pythie. Une Médée noire. Éclairer l’indicible de l’être, que le Code pénal et la psychologie ne permettent pas de comprendre, tel est l’enjeu. Alice Diop met à profit dans cette fiction toutes ses qualités de documentariste rigoureuse. Rigueur soucieuse d’exactitude quant au rituel de la cour d’assises – son cérémonial, sa gravité. Rigueur esthétique et politique aussi, les deux étant ici indissociables. Animée par le désir de leur plus grande visibilité, la réalisatrice magnifie ici des femmes noires, en leur donnant, au premier plan, une puissance picturale. Plus largement, Saint Omer est un film où les visages et les paroles – celles de l’accusée, mais aussi des magistrats, des témoins à la barre – possèdent une densité singulière. Qui laisse entrevoir un territoire intime, animal et sacré, où le théâtre, la liturgie et la littérature incantatoire ont leur place. Ce caractère de densité hiératique est parfois si intense, pour ne pas dire violent, qu’on pourrait craindre que les images ne se fissurent. Ou nous sautent à la gorge. La réalisatrice laisse aussi des plages de calme pour respirer. Malgré tout, c’est bien un sentiment diffus d’angoisse qui infuse. Et qui vient toucher directement Rama, l’écrivaine, tiraillée dans sa grossesse, celle-ci ne cessant d’interroger la nature du lien qu’elle entretient avec sa mère. Sur le mystère profond de la maternité, sur le monstre tapi en chaque mère – pourquoi le pouvoir phénoménal de donner la vie n’irait-il pas de pair avec celui de donner la mort ? –, sur l’influence mutuelle vertigineuse qui se crée entre l’enfant et sa mère, le film transporte loin. Au cœur de l’abîme, on l’a dit. Ou des abysses. De la mer à la mère, il n’y a qu’un pas. Ce rapprochement se lit jusqu’au nom de Saint Omer (Sainte ô Mère ?). Si la réalisatrice le favorise, c’est en toute discrétion, créant une forme de roulis imperceptible, d’oscillation, d’obsession lancinante. Avec, au bout de cette traversée agitée, une image de paix. Une lignée inversée de toute beauté : celle d’une fille enceinte qui berce sa mère somnolente en lui tenant la main. — Jacques Morice CONTRE :t1: Comment une jeune femme noire supérieurement intelligente (cela a été beaucoup souligné au moment des faits) a-t-elle pu dénier l’existence de son enfant et provoquer sa mort ? Pour le comprendre, il aurait fallu déployer le langage cinématographique du sensible. Alice Diop a fait l’inverse. Cette jeune réalisatrice déjà brillante s’empresse de nous donner des preuves de son intelligence, de sa culture, et dénie toute existence, sur l’écran, à un enfant qu’elle ne regarde pas, qu’elle montre à peine, juste quelques secondes. En s’enfermant dans le palais de justice de Saint-Omer, elle tourne le dos à la nuit insondable de l’infanticide, sur la plage de Berck. En mettant en scène un personnage à son image, une jeune femme noire romancière assurément brillante elle aussi, elle se replie sur son propre terrain. Et transforme son film en dissertation appliquée sur la relation mère-fille. L’excès d’idées, de réflexion et d’effets de construction finit ici par assécher la pensée même, qui devient pensum. Pareillement, la grande maîtrise formelle d’Alice Diop, impressionnante dans quelques plans, devient rigidité et reste à la surface des choses. Saint Omer est le devoir manquant de maturité d’une première de la classe. — Frédéric Strauss

Année : 2022

Avec : Adama Diallo Tamba, Aurélia Petit, Cantarella Robert, Dado Diop, Fatih Sahin, Guslagie Malanga, Kayije Kagame, Mariam Diop, Salimata Kamaté, Thomas de, Valérie Dréville, Xavier Maly