Télévision : 9 novembre 2017 à 01:05-02:55 sur France 4
film : thriller
Un journaliste, assisté par une hackeuse atypique, mène une enquête dangereuse autour d'une série de crimes atroces. Une adaptation du best-seller de Stieg Larsson sophistiquée, sexy et hypnotique. - Critique :
Stieg Larsson était-il cinéphage ? Son best-seller international, polar addictif, réclamait en tout cas le cinéma. Les Suédois ont naturellement dégainé les premiers pour l'adapter, en bouclant trois versions passables, défendues dans ces pages, par défaut surtout. Comparées à celle-ci, il n'y a pas photo. Plus puissante, plus sophistiquée, plus sexy, plus... on pourrait ainsi continuer à remplir la colonne des avantages. La victoire de David Fincher - sur... sur qui déjà ? - est écrasante.
Pour ceux qui n'auraient ni lu la saga nordique, ni vu les films suédois, résumons l'intrigue. Mikael Blomkvist (Daniel Craig), journaliste d'investigation vedette qui vient de perdre un procès l'opposant à un financier crapuleux, est engagé par Henrik Vanger, un vieux magnat de l'industrie, pour enquêter sur la disparition inexpliquée de sa nièce adorée, Harriet, survenue quarante ans auparavant. Vanger soupçonne qu'elle a été assassinée par un membre de la famille. Famille redoutable s'il en est, à l'intérieur de laquelle on se déteste sans vergogne, mais en vivant à quelques encablures les uns des autres, sur une île aussi majestueuse que funèbre. Un fief, où s'installe aussi le journaliste, pour les besoins d'une enquête qui va s'avérer fort dangereuse.
Daniel Craig, on le connaît surtout depuis James Bond (Casino Royale), dont il a largement contribué à rehausser la cote. Il se fond sans souci dans son rôle d'intello cool (lunettes souples) porté vers l'action. Mais le personnage le plus original demeure celui de Lisbeth Salander, fabuleuse héroïne de l'ère 2.0. Elle va assister Mikael en lui faisant profiter de sa science non autorisée. Cette fille est un paradoxe vivant : proie facile et superwoman, génie du hacking au look gothico-grunge, antisociale, mais super pro dans son boulot, malingre mais cogneuse hors pair, motarde tarantinesque à ses heures.
Noomi Rapace, perle rare dénichée pour la version suédoise, était très bien. Rooney Mara, plus androgyne et plus frêle, est encore mieux - c'est elle qui apparaissait au tout début de The Social Network dans une scène de rupture mémorable. Impossible, cependant, de la reconnaître, tant Fincher l'a transformée en divinité tout en noir, walkyrie insaisissable. Une bisexuelle qui aime un homme et vient lui porter secours. Dans cette inversion des archétypes, Daniel Craig et Rooney Mara forment un couple curieusement assorti.
Fincher a été fidèle au roman, tout en restant lui-même. Une prouesse, coutumière pour ce cinéaste qui exploite toujours intelligemment des scénarios solides, très écrits. Il y a chez lui un art du récit, une manière de nous tenir en haleine en dépit (ou à cause ?) d'une somme colossale d'informations, grâce à l'investigation, puis à la résolution progressive de l'énigme. Dans Zodiac, l'enquête menée pour coincer le tueur en série était un tel casse-tête obsessionnel que chaque indice décrypté semblait éloigner encore plus la vérité. Ici, l'enquête finit par aboutir, mais on a cette même impression de vertige : la disparition d'Harriet cachant, en fait, la mise en scène démoniaque d'autres crimes. Mikael et Lisbeth doivent ainsi relier et déchiffrer une forêt de signes - ce rébus mystérieux de lettres et de numéros laissé par la disparue -, éplucher des archives pour remonter le temps. Fincher aime toujours relier d'une manière ou d'une autre l'archéologique au numérique. D'où ces retours fréquents dans les années 1960, pour comprendre le déroulé exact de cette journée de parade estivale au cours de laquelle la trace d'Harriet se perd. Une scène de drame originel en plein soleil, qui rappelle l'assassinat de Kennedy, à Dallas.
Meurtres atroces, viols, tortures, vengeances et turpitudes diverses. Ce qu'affronte le couple de justiciers n'est pas beau à voir. Fincher fait en sorte que cela le soit, sans éluder la violence, en prenant soin de mettre à distance le naturalisme. On dirait un jeu vidéo, essentiellement graphique, ultra soigné dans les détails. Dans son univers, l'architecture ajoute à l'hyperréalisme. Lorsque Mikael entre par effraction dans la maison du criminel, tout en transparence, il est vu de partout : il n'y a plus de frontière entre l'extérieur et l'intérieur. La chair elle-même est une énigme, et cela dès le générique, avec l'apparition d'une étrange créature qui s'embrase : mi-solide, mi-liquide comme du pétrole ou du mercure. Cette créature est-elle Lisbeth ? Elle semble si irréelle, parfois : visage de porcelaine et corps d'encre, tout en tatouages...
Comme tout bon thriller, Millénium est captivant et troublant. Mais il suscite quelque chose en plus, de spécifique à Fincher. A peine vu, il donne aussitôt envie de le revoir. Comme si, malgré la limpidité de son développement, quelque chose de subliminal persistait, caché dans telle ou telle séquence. Signe qu'on est bien accro.
Année : 2011